01.Le Chef Cuistot : Marcel Duchamp
Loin d'être un simple plombier égaré, Marcel Duchamp est un intellectuel, un joueur d'échecs brillant et un provocateur né. Lassé de la "peinture rétinienne" (celle qui ne sert qu'à être jolie pour les yeux), il cherche un art qui parle au cerveau.
Son concept révolutionnaire ? Le Ready-made. L'idée est simple mais foudroyante : ce n'est plus le savoir-faire manuel qui fait l'artiste, ce sont ses choix. Si un artiste décide qu'un objet banal est une œuvre d'art, alors c'en est une. Il déplace l'art de la main vers l'esprit. Duchamp, c'est le gars qui a dit : "Je ne peins pas, je choisis."

02.La Recette (1917) : Comment se faire virer d'une expo ouverte à tous
Nous sommes à New York, en 1917. La Société des Artistes Indépendants organise une grande exposition avec une règle d'or : "Pas de jury, pas de récompense". N'importe qui peut exposer en payant 6 dollars.
Duchamp, membre du comité directeur, décide de les troller (le terme n'existait pas, mais l'esprit y était). Il achète un urinoir standard de la marque Mott, le couche à l'horizontale, le signe du pseudonyme "R. Mutt" et l'envoie anonymement. Le comité, retire l'oeuvre de son exposition, Duchamp démissionne ainsi de son poste de directeur.

03.L'Objet du Délit : Pourquoi un urinoir ?
Pourquoi choisir un urinoir ? Parce que c'est l'objet le moins artistique possible. C'est industriel, c'est froid, et c'est associé aux besoins naturels les moins nobles. En le renversant, Duchamp lui retire sa fonction : on ne peut plus pisser dedans (ou alors c'est risqué). L'objet devient inutile, et donc bien provocant, on peut donc l'observer sous un regard esthétique.
04.La Signature
La signature "R. Mutt" est aussi un jeu de mots : "Mutt" fait référence à un personnage de comics idiot de l'époque (Mutt and Jeff) et à la marque Mott Works. En signant, il transforme un produit de série en pièce unique. Il participe à transformer un produit de série en objet unique.

05.Le Scandale : L'art est-il une arnaque ?
Le scandale de Fountain n'est pas sexuel comme pour Manet ou religieux comme pour Serrano. Il est ontologique. Il pose la question : "Qu'est-ce que l'art ?". Pour les critiques de l'époque, c'est une insulte à la maîtrise technique, à l'idée de beau, de la dimension laborieuse de l'art. C'est du plagiat industriel.
Mais Duchamp répond dans une revue The Blind Man : "Que Mr Mutt ait fabriqué la fontaine de ses propres mains ou non n'a aucune importance. Il l'a CHOISIE. Il a pris un article ordinaire de la vie, et lui a donné une nouvelle pensée". Boum. L'art conceptuel est né.
06.L'Héritage : Tout est permis
L'urinoir original a disparu, probablement jeté à la poubelle, comble de l'ironie. Mais Duchamp en a signé des répliques dans les années 60, qui valent aujourd'hui des millions.
Sans cet urinoir, pas d'Andy Warhol et ses boîtes de soupe. Pas de Jeff Koons et ses chiens ballons. Pas de Maurizio Cattelan et sa banane. Duchamp a ouvert la porte à tout, pour le meilleur et pour le pire. Il a libéré l'artiste de l'obligation de "faire", pour lui donner le droit de "penser".
