01.C'est quoi Charlie ? : Bête et Méchant depuis 1970
Avant de parler scandale, parlons ADN. Charlie Hebdo, c'est l'enfant terrible de la presse française. Né en 1970 des cendres de L'Hebdo Hara-Kiri (interdit pour avoir titré "Bal tragique à Colombey : 1 mort" après la mort du Général de Gaulle), le journal s'est construit sur une mission simple : rire de tout, surtout de ce qui est sacré.
Ni de droite, ni de gauche, mais résolument libertaire et anticlérical, Charlie tape sur les politiques, les militaires, les beaufs et, bien sûr, les religions. Toutes les religions. Catholiques, Juifs, Musulmans : tout le monde passe à la casserole. Leur devise ? "Journal irresponsable". Ils ne cherchent pas à plaire, ils cherchent à relever le plat, quitte à ce qu'il soit trop épicé pour certains.
02.Le Piment Danois : Tout part de Copenhague
Pour comprendre le piquant, il faut trouver le piment. Tout commence en septembre 2005, au Danemark. Le journal Jyllands-Posten publie douze caricatures de Mahomet. L'objectif ? Tester la 0 censure en Occident après l'assassinat du réalisateur Théo Van Gogh aux Pays-Bas. Le résultat aux Pays-Bas, pas grand chose. Par contre, au Proche-Orient : manifestations violentes, ambassades brûlées, boycott des produits danois. Le monde musulman s'embrase.
En France, la presse s'interroge : faut-il servir ce plat brûlant par solidarité au nom de la liberté d'expression, ou s'abstenir par respect pour les croyants (et par peur de se brûler) ?

03.La Réponse de Charlie : L'humour comme bouclier
Fidèle à sa tradition anticléricale (Charlie tape sur tout le monde : le Pape, les rabbins, les imams), l'hebdomadaire satirique décide de publier les caricatures danoises. Mais ils ne se contentent pas de suivre, ils ajoutent leur grain de sel. En couverture du numéro du 8 février 2006, Cabu signe un dessin magistral.
On y voit Mahomet se tenant la tête dans les mains, désespéré par les agissements des terroristes qui tuent en son nom. La légende "Mahomet débordé par les intégristes" et la bulle "C'est dur d'être aimé par des cons" inversent totalement la charge. Ce n'est pas une moquerie envers le Prophète ou l'Islam, c'est une moquerie envers ceux qui défigurent le message religieux par la violence. Cabu ne dessine pas un Mahomet ridicule, il dessine un Mahomet victime de ses propres fanatiques. C'est fin, c'est drôle, et c'est tragiquement intelligent.

04.Le Procès de 2007 : La République à la barre
La réaction ne se fait pas attendre, mais cette fois-ci, elle est judiciaire. La Grande Mosquée de Paris, l'UOIF et la Ligue islamique mondiale attaquent Charlie Hebdo pour "injure publique à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur religion".
Le procès devient une arène philosophique. D'un côté, le respect des croyances. De l'autre, le droit au blasphème. En France, le blasphème n'est plus un délit depuis la Révolution (sauf en Alsace-Moselle à l'époque et jusqu'en 2017, anecdotique mais vrai). Le tribunal tranche en faveur de Charlie : les caricatures visent les intégristes, pas l'ensemble des musulmans. C'est une victoire majeure pour la liberté de la presse : on a le droit de critiquer les idées, les dogmes et les religions, tant qu'on n'appelle pas à la haine contre les personnes.

05.Le Prix du Sang : De l'encre rouge
L'histoire, nous la connaissons tous, et elle est sombre. Ce combat pour la liberté a coûté cher. Très cher. En 2011, les locaux de Charlie Hebdo sont incendiés. En janvier 2015, les frères Kouachi entrent dans la rédaction et assassinent douze personnes, Charb (Stéphane Charbonnier), Cabu (Jean Cabut), Wolinski (Georges Wolinski), Tignous (Bernard Verlhac), Honoré (Philippe Honoré), Oncle Bernard (Bernard Maris), Elsa Cayat, Mustapha Ourrad, Frédéric Boisseau, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet, Michel Renaud
Ce dessin de Cabu prend alors une résonance terrible. "C'est dur d'être aimé par des cons". Les "cons" ont fini par tuer le dessinateur, prouvant par l'absurde et l'horreur qu'il avait raison. La caricature n'était pas une insulte, c'était un diagnostic.
06.Philosophie du Rire : Peut-on rire de tout avec tout le monde ?
L'affaire des caricatures pose une question qui nous hante encore, Jacques Chirac disait à l'époque qu'il fallait de la "mesure". Mais la satire, par définition, est démesurée. Où s'arrête la liberté et où commence le respect ?
Le rôle du bouffon, du caricaturiste, c'est de tester la solidité de nos idoles. Charlie Hebdo nous rappelle que la liberté d'expression n'est pas faite pour plaire à tout le monde. Défendre la liberté d’expression seulement pour ceux qui partagent nos idées, est-ce vraiment défendre la liberté d’expression ?
