KVU Art
MENU

SUIVEZ L'AVENTURE

Recette #001

Piss Christ : L'histoire complète du cocktail interdit

Concercant l'œuvre : Piss Christ (1987)

PUB: 29.11.2025

AUT: Sohane SHAKHUN

SRC: CONFIDENTIEL

Vous avez vu la recette en vidéo ? Passons maintenant à la dégustation complète. Si Piss Christ est l'une des images les plus célèbres du XXe siècle, ce n'est pas seulement pour ses qualités esthétiques, mais parce qu'elle a agi comme un révélateur chimique sur les peurs de notre société. De la subvention publique américaine aux coups de marteau en Avignon, voici l'histoire d'un malentendu planétaire.

01.L'Homme derrière le bocal : Andres Serrano

Commençons par tordre le cou aux idées reçues : Andres Serrano n'est pas un punk anarchiste qui déteste l'Église. Né en 1950 à New York, il a grandi dans un foyer hispanique strictement catholique. Sa relation avec la religion est viscérale.

Serrano se définit comme un
"artiste chrétien". Pour lui, le catholicisme est une religion du corps et des fluides : le sang du Christ, le corps du Christ, la souffrance physique. En 1987, quand il crée l'œuvre, son intention n'est pas de salir Dieu, mais de rappeler une vérité théologique brutale : l'Incarnation. Dieu s'est fait homme. Et être un homme, biologiquement, c'est aussi pisser, saigner et mourir. Il voulait arracher le Christ aux représentations aseptisées et propres pour le replonger dans l'humanité.

L'Homme derrière le bocal : Andres Serrano
Fig. - Andres Serrano : "Je n'ai jamais cherché à être un provocateur, mais un observateur."

02.La Recette du Scandale (1989) : L'argent du contribuable

Comme expliqué dans la vidéo, le scandale n'éclate pas tout de suite. Il faut attendre 1989 et un ingrédient explosif : l'argent public.

L'œuvre a été exposée grâce à une bourse de 15 000 $ du
Southeastern Center for Contemporary Art, financée en partie par le National Endowment for the Arts (NEA), une agence fédérale américaine. C'est ce détail qui va tout déclencher. Les sénateurs conservateurs, Jesse Helms et Al D'Amato, s'emparent de l'affaire. Le débat quitte la sphère artistique pour devenir politique : "Pourquoi le contribuable américain paie-t-il pour qu'on trempe Jésus dans l'urine ?".

Serrano reçoit des menaces de mort, perd ses subventions, et devient l'ennemi public numéro 1 de la droite puritaine. C'est le début des "Culture Wars" aux USA.

03.L'Esthétique : Pourquoi c'est beau ?

C'est le paradoxe qui rend fous les censeurs. Si Serrano avait déféqué sur une croix, c'eût été laid et facile. Mais Piss Christ est beau. C'est une photographie argentique (Cibachrome) de grand format de 1,50m de haut saturée de lumière.

Visuellement, on dirait de l'ambre, de la lumière divine. L'artiste joue sur le contraste entre le
Sublime (la beauté de l'image) et l'Abject (l'origine du liquide). Le spectateur est piégé : il admire la lumière avant de lire le titre et de réaliser ce qu'il regarde. C'est ce court-circuit entre l'œil qui aime et le cerveau qui juge qui fait la force de l'œuvre.

L'Esthétique : Pourquoi c'est beau ?
Fig. - Une esthétique baroque qui rappelle les peintures religieuses classiques.

04.Le Digestif (2011) : Le massacre d'Avignon

Le scandale traverse l'Atlantique et les décennies. Le dimanche des Rameaux 2011, l'œuvre est exposée à la Collection Lambert en Avignon. Une manifestation de catholiques intégristes, dont l'association Civitas, dégénère.

Quatre hommes entrent dans le musée, menacent les gardiens, et attaquent la photographie à coups de marteau et d'objets contondants. Ils ne se contentent pas de la déchirer, ils visent le visage du Christ. Ce
vandalisme est ironique : en voulant défendre l'image de Dieu, ils ont reproduit la violence faite au Christ lors de la Passion. Serrano, beau joueur, dira que l'œuvre a désormais une nouvelle vie avec ses cicatrices.

Le Digestif (2011) : Le massacre d'Avignon
Fig. - L'œuvre après l'attaque au marteau à Avignon : le verre brisé fait désormais partie de l'histoire.
Piss Christ | KVU